vendredi 28 mai 2010

Des événements qui ont un sens

De Jeune Afrique Intelligent/ par Bechir Ben Yahmed
Envoyé au groupe par Njakpou Fabien

« L'éditorialiste d'hebdomadaire est quelqu'un qui est obligé de trouver, chaque semaine, une signification à un événement qui n'a, peut-être, ni sens ni conséquence. » L'auteur de cette réflexion, John Kenneth Galbraith*, est l'un des meilleurs économistes et penseurs du XXe siècle. Il a raison et, pour ma part, je veille, chaque semaine et autant que je le peux, à ce que l'événement que je commente soit significatif et chargé de conséquences.

L'épreuve que traversent actuellement l'Union européenne (27 pays, 500 millions d'habitants) et la zone euro (16 pays et bientôt 17) est l'événement le plus significatif du moment. Mais cette épreuve n'en est qu'à ses débuts et nous aurons donc l'occasion d'y revenir.

Pour l'heure, je peux en dire que les dirigeants (politiques, économiques et financiers) qui y font face montrent une détermination et un savoir-faire impressionnants, dignes d'éloges. Mais ils ont la très lourde tâche –– mission impossible  ? – de convaincre leurs peuples que les temps ont changé.

L'Europe se considérait comme un modèle pour les autres et avait pris l'habitude de juger le reste du monde par rapport à elle. Elle voyait, en général, sur les autres continents des pays moins bien lotis.

En mai 2010, vu de l'extérieur, l'Europe paraît toujours être une oasis de liberté, un continent où il fait bon vivre. Mais elle donne l'impression d'être fatiguée, en perte de vitesse démographique, désertée par la croissance économique  : le chômage touche près de 10 % de la population active et semble y être devenu endémique.

Les États européens sont, pour la plupart, très endettés, et leurs budgets sont en déficit sévère : il faut donc baisser les dépenses publiques et augmenter les impôts.

Le grand problème des gouvernants européens, l'équation qu'ils ne parviennent pas à résoudre, est le suivant  : comment retrouver la croissance économique pour créer des emplois et faire face aux besoins d'États qui ont pris la mauvaise habitude de vivre au-dessus de leurs moyens  ?

Les Européens devront désormais travailler plus et non pas moins. Il leur faut aussi travailler mieux pour redevenir compétitifs, accepter des sacrifices et remettre en question un dogme qui leur est devenu cher, celui des situations acquises.

Si les dirigeants européens d'aujourd'hui et de demain ne parviennent pas à convaincre leurs peuples d'accepter ces conséquences inévitables de la mondialisation, l'Europe comptera de moins en moins dans le concert des nations et prendra le chemin d'un long déclin…

Mais le pire n'est pas sûr, et l'on peut encore espérer que ce berceau de la civilisation moderne se révélera capable de garder sa place dans le peloton de tête des pays développés.

Les toutes prochaines années nous diront laquelle des deux directions les Européens auront choisi de prendre.

Cela dit, je m'autorise à consacrer l'espace qu'il me reste à deux autres événements d'inégale importance, mais dont je pense qu'ils ont l'un et l'autre une signification et une portée.
1. Après une longue attente, l'État d'Israël, qui vient de célébrer ses soixante-deux ans d'existence, a été admis à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Il devient le 32e membre de ce club prestigieux, créé en 1960, où ne sont admis, après un long examen de leurs performances, que les pays enrichis (ou en passe de l'être) par le développement économique et industriel, et qui observent une discipline économique assez rigoureuse. Être membre de l'OCDE équivaut, par conséquent, à un « certificat de bonne conduite et de respectabilité ».

Le Chili est entré dans le club le 7 mai 2010, et le 10 mai, ce sont l'Estonie, Israël et la Slovénie qui ont été appelés à en franchir le seuil. La Russie les suivra, mais les autres candidats devront patienter plusieurs années avant de se voir délivrer leur carte de membre.

Aucun pays africain, aucun pays arabe ne fait partie de ce club – le gotha des nations ––, et aucun n'est même un candidat sérieux à son admission dans un délai prévisible. L'Afrique du Sud, peut-être, dans dix ans.

Un pays ne peut entrer dans ce club très fermé que si les États membres l'acceptent parmi eux expressément et à l'unanimité.

Membre fondateur de l'OCDE, seul pays musulman de ce cénacle, la Turquie a voté en faveur de l'admission d'Israël malgré sa brouille récente avec ce pays et sans tenir compte des objections palestiniennes.

Je pense, pour ma part, qu'elle a eu raison de le faire. De même qu'un Obama, Prix Nobel de la paix, se doit de veiller à militer pour la paix en toutes circonstances, de même un Israël membre de l'OCDE devra s'astreindre à une série de contraintes nouvelles pour lui, politiques et économiques.


Pourra-t-il rester encore longtemps une puissance occupante  ? Pourra-t-il continuer à développer son économie sans faire la paix avec ses voisins ? Probablement pas.

2. Mon second événement peut paraître anecdotique. Il est, à mon avis, plus que cela.
Vous avez pu lire, dans le dernier numéro de Jeune Afrique, sans commentaires, des extraits d'une interview du colonel Kaddafi au magazine allemand Der Spiegel. Il y disait beaucoup de mal de la Suisse et, en particulier, que ce pays n'aime rien tant que l'argent ; selon le « Guide » libyen, la Suisse fait et ferait tout pour que « le fric », en particulier celui des dictateurs et autres criminels, afflue dans les coffres de ses banques. Et y reste.

Jeune Afrique et moi-même avions tendance jusqu'ici à écrire que le maître de la Libye ne s'exprime, depuis quarante ans, que pour énoncer des idées fausses ou saugrenues.

Mais Kaddafi a-t-il constamment tort, et ce qu'il dit est-il toujours erroné ?

Je me pose pour la première fois cette question à la lecture d'une dépêche qui montre que la Suisse, ou, en tout cas, le pouvoir qui la dirige, ressemble à ce qu'en dit Kaddafi. Lisez :
« La Suisse veut interdire de se cacher le visage dans les lieux publics, mais devrait faire une exception pour les touristes musulmanes portant la burqa. – On doit voir comment on peut faire des exceptions pour les touristes qui viennent avec la burqa –, a déclaré la ministre de la Justice, Eveline Widmer-Schlumpf. »

Vous avez bien lu : pas de minaret ni de burqa pour les pauvres habitants de la Suisse  ! Mais il ne faut en aucun cas décourager les touristes fortunées car leur argent nous intéresse : que leurs femmes viennent vêtues de leur burqa, ou de ce qu'elles veulent. L'essentiel est qu'elles nous laissent l'argent……

* Décédé le 29 avril 2006, à l'âge de 97 ans.

[Lire en integralite sur Jeune Afrique L'intelligent]

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